En 1996, une équipe de scientifiques écossais clonait pour la première fois un mammifère, la brebis Dolly. Ce tour de force fut salué dans le monde entier comme l’avènement d’une nouvelle ère technologique, les médias et les scientifiques insistaient sur l’arrivée, désormais inéluctable et toute prochaine, du clonage humain. Des armées de clones conçues dans des bacs à incubation conquerraient la planète. Le plus vieux rêve de l’humanité, celui de l’immortalité était à portée de main via l’injection de cellules souches remplaçant les tissus sénescents ou par la (re)production de votre propre clone à chaque génération. Un quart de siècle plus tard, que reste-il de ces promesses ? Pas grand-chose en réalité. Si, effectivement, les avancées (essentiellement quantitatives) dans le séquençage nous ont permis de découvrir quel pourcentage de notre ADN est d’origine celte ou papoue, ceux qui ont connu la fin du XXe siècle, c’est à dire les « vieux » de mon acabit ont la désagréable impression de vivre non pas durant une ère d’explosion scientifique, mais bien au contraire une période que l’on pourrait qualifier de « stase technologique ». Explications.
1996 c’était il y a un quart de siècle. À quelques années près, le même laps de temps nous sépare des années 90 que l’apogée des Trente Glorieuses de la fin de la seconde guerre mondiale. Durant cette période de progrès fulgurants, la vie du Français moyen fut bouleversée. Notre Français passa sans transition ou presque de la ferme sans eau courante à l’appartement tout équipé et à chauffage central, du cheval à l’automobile, de la radio à la télévision, de la lettre manuscrite au téléphone, du paquebot à l’avion et des champs de blé à l’usine ou au bureau.
Quels changements majeurs ont affecté notre mode de vie entre le milieu des années 90 et la deuxième décennie du XXIe siècle ? Vous êtes réveillés par la sonnerie de votre téléphone portable ou de votre réveil, vous prenez une douche chaude, utilisez un grille-pain et une cafetière pour préparer votre petit-déjeuner, portez probablement un jean et t-shirt, vous rendez au travail en voiture, en train, en bus, à vélo, ou en métro. Dans votre bureau climatisé et éclairé grâce à l’énergie nucléaire, thermique, solaire ou éolienne, vous travaillez sur un ordinateur, surfez sur internet, photocopiez des documents, etc. Le travail fini, vous passez au supermarché acheter des plats congelés. Rentré chez vous, vous réchauffez quelque pitance au micro-ondes, passez l’aspirateur, regardez la télé, vous amusez à piloter un drone ou jouez à votre console de jeux préférée. Aucune des nombreuses inventions ou commodités citées plus haut ne date du XXIe siècle. Aucune. Nous vivons encore dans le XXe siècle, quelques écrans en plus. Nous utilisons à peu de choses près le même type de carburant pour nos véhicules que pendant la Grande Guerre. Les avions et les trains à grande vitesse du XXIe siècle ne sont pas plus rapides que ceux des années 70, il y a donc cinquante ans. Il vous faudra le même temps pour faire Paris-Lyon en vol commercial en 2020 qu’il en fallait en 1975, lors de l’inauguration de l’aéroport de Lyon. Et bientôt probablement plus, si les lignes aériennes sont progressivement délaissées au profit des transports terrestres jugés moins polluants. Bien loin de vivre une époque de progrès fulgurant, nous subsistons en réalité sur les acquis technologiques du siècle précédent. Les photos des expositions universelles du Paris de la Belle Epoque ou les vidéos des prototypes du Concorde ou du TGV donnent l’impression irréelle d’un passé…plus futuriste que notre présent.
On se plait à nous expliquer que 90% des chercheurs ayant jamais vécu sont vivants. En termes d’effectifs de chercheurs à temps plein et d’articles scientifiques publiés notre époque écrase en effet complètement les âges qui l’ont précédée. Jadis confiné à une poignée de mâles européens ou nord-américains, le savoir scientifique est désormais universel. Les chercheurs sont bien souvent des chercheuses, et sont issus de toutes les populations humaines. La planète entière cogite et il n’existe pas un grand pays au monde n’ayant pas de budget dédié à la recherche fondamentale ou appliquée. Plus que cela, les moyens gigantesques des chercheurs contemporains feraient pâlir d’envie leurs prédécesseurs, bien heureux de disposer de tubes à essai et d’un cahier pour annoter leurs résultats. La puissance de calcul du moindre de nos téléphones est infiniment supérieure à celle des instruments que les astronautes de la mission Apollo 11 ont utilisé pour aller sur la Lune. Il serait dès lors logique que les résultats soient proportionnés aux moyens colossaux mis en œuvre. C’est tout le contraire que l’on observe, le retour sur investissement semble minime, et en diminution constante. Quelles furent les découvertes scientifiques majeures du XXIe siècle ? Quelles sont les inventions phares de ces deux décennies durant lesquelles, fait inédit dans l’Histoire, l’humanité entière participe à l’avancée des connaissances ? J’ai réalisé une recherche rapide et les seules inventions remarquables de ce siècle sont _roulement de tambour_ le smartphone et…la dosette nespresso. D’autant que le smartphone n’est que la résultante d’une miniaturisation croissante des composants informatiques, pas un saut qualitatif. Si l’on veut être de mauvaise foi, on pourrait même le qualifier de très petit ordinateur portable avec lequel on peut, éventuellement, passer des appels. L’essentiel du progrès technologique du XXIe siècle concerne donc essentiellement le séquençage génétique et l’informatique. « Peut mieux faire » est donc un euphémisme dans le cas d’espèce, quand on ramène ces avancées aux milliards de dollars et de neurones mis à contribution sur la planète.
Un des moyens empiriques d’investigation de nos résultats consiste à se pencher sur les prix Nobel (de physique en l’occurrence). Dans la nature et les sociétés humaines, beaucoup d’aptitudes ou de caractéristiques sont en effet distribuées selon une courbe de Gauss ; ce qui se produit aux extrémités de cette dernière est souvent révélateur d’un changement plus général affectant l’ensemble. Par exemple, lorsque la taille moyenne d’une population augmente la proportion d’individus TRES grands (plus de 2 m) est démultipliée. Un changement dans la moyenne affecte les extrêmes. En regardant ce que découvrent ces chercheurs d’élite situés à l’extrémité de la courbe du talent et de l’intelligence il est possible d’évaluer au doigt mouillé l’état d’avancement de la recherche. Cet article décrit bien plus en détail que moi les résultats obtenus mais, de l’avis des auteurs l’apogée des découvertes se situa entre les années 1910 et 1930, avec un déclin lent, mais perceptible, après les années 40.
Que beaucoup de prix Nobel contemporains soient attribués à des travaux menés dans les années 80, ne signifie pas seulement que le comité Nobel attend patiemment que la valeur d’une découverte soit manifeste pour se prononcer mais surtout que nous semblons manquer d’inspiration avec une régularité croissante.
Autre élément susceptible d’alimenter la stagnation de la recherche : le déclin cognitif des nouvelles générations. Comment peut-on non seulement développer de nouveaux concepts et technologies mais tout simplement maintenir en état ceux de notre époque si le matériau de base du progrès scientifique, c’est à dire la matière grise décline ? Sans parler de tests de QI, il existe une série d’indicateurs nationaux et plus systématiques illustrant de manière terrifiante la baisse des performances scolaires. Regardez ce graphique. Oui, vous avez bien lu, un tiers des élèves de CM2 en 2017 n’arrivait plus calculer la plus simple des opérations_ l’addition_ correctement. Les deux tiers sont désormais incapables de résoudre une division alors que les trois quarts y parvenaient trente ans plus tôt. La baisse d’aptitude est non seulement homogène (elle concerne toutes les opérations), elle aussi trop marquée pour être due à un biais méthodologique.
Vous vous souvenez des courbes de Gauss évoquées plus haut ? Sur ce graphique vous pourrez constater que la courbe de performances en calcul se déplace imperturbablement vers la gauche, c’est à dire vers des niveaux de performance plus bas. Comme expliqué plus haut, la partie la plus à droite de la courbe, celle représentant la petite élite des élèves les plus prometteurs, ceux ayant un score de 350 ou plus a presque complètement disparu. En se déplaçant vers la gauche la courbe a annihilé les hauts scores et démultiplié les scores les plus mauvais. Si en 1987, très peu d’élèves obtenait un score inférieur à 100, en 2017, ils étaient beaucoup plus nombreux. Si, bien entendu, l’immigration extra-européenne, notamment de populations issues de pays en retard au niveau éducatif sur la France contribue à accélérer cette baisse des performances scolaires, elle est loin de constituer la cause principale de ce déclin.
Sur ce troisième graphique vous pourrez constater que le déclin cognitif est général puisqu’il touche l’ensemble des classes sociales. En 2017, un enfant de « cadre ou de profession intellectuelle (sic) supérieure » obtenait des résultats en calcul inférieurs à ceux d’un enfant d’ouvrier ou d’inactif en 1987 ! Ces résultats catastrophiques constituent littéralement un « défi de civilisation » et devraient mobiliser l’énergie mal employée de nos hommes politiques afin qu’ils trouvent un remède à ce mal. Ces derniers se contentent pour le moment d’accompagner le déclin en supprimant progressivement les matières et sujets les plus exigeants intellectuellement parlant. Autre fait marquant : bien que le déclin soit général les différences entre classes sociales perdurent. Nous sommes tous de plus en plus bêtes, mais les riches mettent un point d’honneur à le paraître moins que les pauvres.
On pourra m’objecter deux arguments : 1) tout d’abord que si nos enfants ne savent, certes, plus calculer correctement ils sont néanmoins capables d’utiliser dès la petite enfance une tablette ou un smartphone, bien plus compliqués d’usage qu’une feuille de papier et un crayon ; et 2) que dans un monde dans lequel n’importe quel téléphone peut réaliser des opérations à votre place et corriger vos fautes d’orthographe, le calcul et l’orthographe sont devenus inutiles, des vestiges poussiéreux de l’époque révolue de l’ardoise et du boulier. Ces deux objections ne résistent pas à l’analyse, selon moi. Dans le premier cas parce que l’utilisation d’un smartphone ou d’une tablette est cognitivement moins exigeante que le calcul mental ou l’écriture. Un chimpanzé est parfaitement capable de faire défiler un menu sur une tablette et de visionner des vidéos, il est revanche incapable de poser une multiplication ou d’écrire quelque chose d’intelligible. Le monde de l’image est « ancestral » (c.a.d. primitif), celui de l’écrit est beaucoup plus abstrait et fait partie des développements récents de notre histoire. Dit autrement, l’écriture est le propre de l’Homme.
Ma réponse au deuxième point concerne la viabilité d’une civilisation vivant dans un univers cognitif qui lui est de plus en plus étranger. En effet, nos machines et gadgets n’existent en premier lieu que parce que nous avons bâti l’infrastructure cognitive nécessaire à leur développement. Que se passera-t-il lorsque nos performances intellectuelles auront tellement décliné que nous ne pourrons ni en concevoir de nouveaux, ni même réparer ceux qui existent encore ? Par ailleurs, quel est intérêt de disposer d’un support sophistiqué si vous n’êtes plus capable de comprendre ou même de lire ce qui y est écrit ? Toutes proportions gardées cela me rappelle l’histoire, probablement apocryphe, des Aborigènes d’Australie qui, en migrant vers la Tasmanie auraient perdu la connaissance du feu et se voyaient donc contraints de maintenir en permanence allumés ceux causés par la foudre, faute de savoir les allumer eux-mêmes. Si votre petit groupe, perdu sur une île déserte dispose en son sein d’une seule personne capable de concevoir et fabriquer un bateau et qu’au cours d’une tempête cette personne périsse, comment entretiendrez-vous ce bateau ou le réparerez-vous lorsque surviendront les inévitables avaries ? Bien entendu, nous ne sommes ni des Tasmaniens, ni des naufragés mais il est, je pense, raisonnable de se poser la question de la continuité de notre civilisation quand des indicateurs cruciaux passent au rouge et que cette menace concerne les fondements de notre infrastructure technologique.
Il existe une multitude d’hypothèses sur les causes du déclin cognitif : perturbateurs endocriniens, dysgénisme lié à une vie devenue trop confortable, mauvaise alimentation, etc. On peut également penser, à l’image de certains chercheurs, que notre stagnation éducative résulte de l’irruption de la télévision, donc de l’écran dans notre quotidien à partir des années 60-70. Chaque génération, plus exposée aux écrans que la précédente choisirait d’une certaine manière la voie la moins exigeante intellectuellement parlant et s’éloignerait progressivement du monde de l’écrit. Je fais mienne cette hypothèse et, par une mise en perspective historique pense même que nous retournons à des conditions qui ont prévalu pendant la majeure partie du temps long civilisationnel. Avant l’invention de l’imprimerie et donc la diffusion du livre, le taux d’alphabétisation en Europe plafonnait environ à 30% (source). De ces 30%, la majeure partie ne savait que lire ou écrire des textes simples, ce qui correspondrait de nos jours à l’éducation primaire et seule une minorité, celle qui avait bénéficié d’une éducation poussée, disons 1 à 5%, était en capacité de lire, comprendre et écrire des textes plus complexes. La Bible fut un des premiers textes imprimés dans les langues vernaculaires de l’Europe, les protestants plaçant un point d’honneur à ce que les fidèles puissent lire eux-mêmes, sans l’intervention d’un prêtre, les Ecritures. Mais le Nouveau Testament, s’il peut se lire de multiples manières et constitue un trésor spirituel, est un texte fort simple, au vocabulaire plutôt limité. Ecrit dans le grec « globish » des époques hellénistique et romaine (la koiné) il constitue d’ailleurs le texte en grec ancien le plus accessible aux étudiants du fait de sa simplicité. De nos jours, si tous ou presque savent lire, très peu en réalité le font régulièrement et ceux qui lisent préfèrent la littérature de gare ou les journaux. La presse écrite est d’ailleurs en crise depuis au moins deux décennies, elle est de moins en moins lue, au profit des chaînes d’information en continu ou de vidéos tournées par des anonymes sur les réseaux sociaux. Encore une fois, passage progressif du monde de l’écrit à celui, plus ancestral, de l’image. Certaines études montrent que 60% des Français sont incapables de comprendre un texte simple et 20% une phrase simple.
Autrement dit, au moins 60% des gens, bien que formellement « alphabétisés », ne savent pas lire. La période bénie entre le dernier tiers du XIXe siècle et celui du XXe siècle constitue une sorte d’anomalie cognitive, une poussée extraordinaire du niveau d’éducation qui a contribué à façonner le monde technologiquement avancé dans lequel nous vivons. Mais cet âge d’or, celui compris entre l’école obligatoire et l’arrivée des premiers écrans a semé les graines de sa propre entropie. L’exigence cognitive a façonné un univers de plus en plus coûteux à maintenir tout en favorisant des comportements qui contribuaient à en augmenter la fragilité. Il est possible que certaines inventions révolutionnaires, comme les implants neuronaux vantés par Elon Musk ralentissent temporairement notre déclin cognitif mais encore une fois, en injectant des inventions complexes dans une population qui en appréhende de moins en moins la complexité nous atteindrons fatalement un point de rupture.
C'est un essai intéressant. En tant que scientifique, l'articulation entre la recherche et l'éducation ne me semble pas pertinente.
Le ralentissement du niveau scientifique est principalement dû au fait que l'on a découvert la plupart des choses à notre portée, et qu'un paquet de règles fondamentales empêchent les réalisations les plus folles, comme la conservation de l'énergie ou le second principe de la thermodynamique.
Les anglais parlent du fait que l'on a cueilli les "Low Hanging fruits".
Nous avons encore de la marge de manoeuvre, mais celle-ci se trouve soit à des échelles nanoscopiques et donc difficiles à controler, soit dans des systèmes extrêmement complexes (biologie, climat) et donc à comprendre.
Globalement sur l'idée, je suis d'accord, il y a probablement une baisse du niveau d'intelligence.
MAIS, ce n'est pas ça qui explique la chute du niveau scolaire, et de toute évidence. Elle est beaucoup trop rapide et massive pour être liée à des raisons biologiques du type perturbateurs endocriniens ou mode de vie. Bien sûr, on pense aux changements de populations.
Mais la cause principale ce sont les méthodes scolaires et les programmes, tout bêtement. Comment peut-on en être sûr ? Parce que ces changements sont spécifiques à la France. On ne constate rien de tel dans les résultats scolaires ailleurs en Europe ou dans les autres pays développés. C'est donc que la cause est notre système national.