Dépasser le carbocentrisme
La croissance économique, technique et démographique de l’espèce humaine est la cause de nombreuses dégradations environnementales : pollution (des sols, de l’air, des eaux), destruction des milieux naturels, introduction d’espèces exotiques souvent invasives, réduction de la biodiversité, épuisement des ressources, réchauffement climatique, artificialisation des habitats, etc. Ces atteintes sont graves et menacent non seulement l’intégrité des écosystèmes et la beauté de notre planète, mais aussi la pérennité de l’espèce humaine. Le discours dominant porté par les élites des pays occidentaux a cependant progressivement (depuis le milieu des années 2000) évacué la plupart de ces enjeux pour ne s’intéresser qu’à la seule question climatique. Entendons-nous bien : je ne fais pas partie de ceux qui nient le réchauffement climatique, sa nature anthropogénique, ni les dangers qu’il représente. Je suis cependant critique sur l’attention médiatique et politique considérable qu’il reçoit au détriment de tous les autres enjeux environnementaux. Pire que cela, j’observe avec inquiétude comment le changement climatique se voit progressivement utilisé comme le prétexte rêvé de la réalisation de sinistres projets n’ayant aucun rapport avec l’écologie.
Parlons tout d’abord écologie : n’évaluer les dégâts engendrés par une pratique ou une population que sous le seul prisme du « bilan carbone », c’est faire preuve non seulement de cécité vis à vis de la complexité des écosystèmes mais aussi réduire de manière caricaturale la question écologique à la seule « monnaie » du carbone. Enfin, et c’est là une hétérotélie dont le système industriel a le secret, la mise en œuvre de toute la machine carbocentrique causera plus de dégâts environnementaux que l’absence d’action en ce sens, j’y reviendrai plus loin. Si l’on prend les deux exemples les plus connus sur lesquels s’exerce la pensée carbocentrique, à savoir celui du régime alimentaire et de l’habitat, la mystification du public occidental est complète.
Le légume est l’avenir de l’Homme
On nous explique que la consommation de viande et autres produits animaux provenant de l’élevage intensif disposerait d’une empreinte carbone supérieure à celle d’un régime végétalien. C’est sans doute vrai si l’on ne prend en compte que pour seule unité le « bilan carbone » (qui consiste à réduire la complexité du vivant à un cycle de production / rejet de carbone), et surtout si l’on utilise l’homme de paille de l’élevage intensif, c’est à dire industriel. L’espèce humaine a toujours consommé de la viande et d’autres produits animaux, mais les dégâts considérables causés par l’agriculture aux écosystèmes commencent pour l’essentiel à la seconde moitié du XXe siècle, c’est à dire à l’avènement de l’agriculture industrielle, qu’elle soit liée à l’élevage ou à la production de produits végétaux. La rupture ne se situe pas entre le végétal et l’animal mais entre l’agriculture industrielle et celle qui ne l’est pas. L’élevage extensif, qui est historiquement la forme d’élevage dominante en Europe est bien souvent pratiqué de manière symbiotique par les populations humaines. Il contribue à réguler les cycles des nutriments (azote, phosphore notamment), permet de maintenir des milieux ouverts (les alpages, les prairies n’existeraient pas sans lui) dans lesquels s’épanouissent d’innombrables espèces d’insectes, de fleurs, et d’oiseaux.
Evolution (de la gauche vers la droite) de la biodiversité d’un milieu initialement utilisé pour la culture de céréales et laissé en l’état. Le contrôle (droite, en vert) consistant en une prairie laissée aux ruminants comprend la plus forte biodiversité. Source.
Si vous ne mangez plus de viande, il vous faudra consommer des substituts végétaux de qualité nutritionnelle et calorique plus ou moins équivalente. Or ces substituts végétaux nécessitent, eux aussi, un espace considérable à densité calorique et nutritionnelle égale. Ainsi, si vous éradiquez les prés, bocages, prairies et haies pour les remplacer par des monocultures céréalières ou de betteraves à sucre gorgées de pesticides et d’engrais le bilan carbone de cette action sera meilleur… sur le papier. En réalité, vous aurez amélioré un seul indice en abaissant tous les autres, habillé Jean pour déshabiller toute la classe. Dit autrement, en voulant réduire le bilan carbone vous aurez contribué à dégrader davantage l’environnement puisque vous l’aurez industrialisé encore plus.
Remplacer l’élevage industriel par de l’agriculture industrielle est une fausse solution parce qu’il maintient l’alimentation humaine dans une dépendance à l’industrie. Un des arguments essentiels des promoteurs de l’alimentation végétalienne est que, par rapport à cette dernière, la viande serait trop coûteuse en ressources. Que cela soit vrai ou pas, avec les ressources « économisées » par l’abandon de la viande, nos promoteurs du végétalisme ne souhaitent pas rendre ceci à la nature mais les réutiliser pour nourrir plus de monde, donc augmenter la population ! Aussi absurde que cela puisse paraître, la substitution de la viande vise donc à encourager la croissance démographique qui est une des principales causes de la destruction de l’environnement !
Il va sans dire que ces milliards d’individus en plus à l’échelle de la planète consommeront de l’énergie, des ressources, etc. et que la situation de la planète s’aggravera donc si de telles mesures venaient à être mises en œuvre. Entre « nourrir la planète » (c’est à dire encourager ad vitam aeternam la croissance démographique) et préserver les écosystèmes, les progressistes ont fait leur choix.
(À cela j’ajouterai que d’un point de vue sanitaire, une alimentation purement végétalienne est néfaste à moyen terme pour la santé humaine puisqu’elle génère de nombreuses carences.)
La densité heureuse
L’habitat est une autre question cruciale à laquelle la narration des pays développés n’a trouvé qu’une réponse inadaptée parce que basée sur l’obsession du carbone et le mythe mobilisateur de la croissance. En effet, si l’on veut bâtir des habitations afin de loger du monde, on doit nécessairement détruire des écosystèmes, dégrader des milieux naturels, chasser des espèces de leur habitat. La construction est un jeu à somme nulle, chaque lotissement nécessitant a minima de l’espace qui devra être pris ailleurs. Or, pourquoi bâtit-on toujours plus alors qu’aucun pays du monde développé (à l’exception d’Israël) ne se trouve au-dessus du seuil de remplacement des générations du fait de taux de fécondité anémiques ? À cause de l’immigration, évidemment. L’immigration entretien artificiellement la croissance démographique des pays industrialisés depuis une quarantaine d’années alors que la faible natalité de ces derniers aurait dû provoquer naturellement une diminution de leur population (comme ce fut le cas au Japon). La mesure la plus efficace que prendrait un gouvernement ayant véritablement l’écologie à cœur serait évidemment de stopper l’immigration, voire d’inverser les flux (ce qui par ailleurs réduirait l’empreinte carbone de ceux retournés au pays). Une telle mesure associée au déclin démographique naturel des populations urbanisées aurait tôt fait de rendre des régions entières à la nature. Hélas ! Nos dirigeants ont une tout autre idée en tête : il s’agit pour eux d’abord de nous faire consentir, puis le cas échéant de nous imposer la « densité heureuse », c’est à dire l’entassement du plus de monde possible dans les termitières urbaines. Le pavillon de banlieue devra céder la place au clapier à lapins dans lequel chacun disposera du minimum vital afin de réduire son « empreinte carbone ».
Source. Ce sénateur américain reprend un article du célèbre économiste Paul Krugman selon lequel les villes densément peuplées seraient « bonnes pour l’environnement et pour l’économie (sic) »
Il n’y a encore une fois aucun mystère : si la population augmente mais que la surface ne s’agrandit pas la densité augmente mathématiquement, réduisant d’autant plus l’espace individuel. Comme dans le cas de l’alimentation, la « densité heureuse » vise in fine à accroître la population. Les conséquences écologiques seront encore une fois opposées à celles attendues. J’ajouterai que les promoteurs de cette pseudo-écologie n’hésitent pas à décourager les populations autochtones d’avoir des enfants tout en ouvrant les vannes de l’immigration en provenance des pays du Sud. Un écologiste conséquent aura à cœur de préserver la biodiversité, y compris humaine alors qu’un progressiste visera la massification et à l’industrialisation de l’être humain au nom de la « croissance ».
Pour résumer, les deux mesures des pays développés visant à réduire « l’empreinte carbone » (substituer l’alimentation végétale issue de l’agriculture intensive au lieu de réduire l’industrialisation de l’agriculture, augmenter la densité de population au lieu de réduire la population) sont non seulement mauvaises d’un point de vue écologique, elles aboutiront en réalité aux résultats opposés à ceux que leurs promoteurs leur prêtent. La nature souffrira davantage dans un monde végétalien et densifié parce que ce dernier sera plus peuplé et dépendant de techniques sophistiquées. Plus d’hommes (P), plus de consommation (A pour « affluence » en anglais), plus de technique (T) = plus d’impact (I). Il est impossible d’ignorer cette équation I = PAT, développée par Paul Ehrlich et ses collègues. Les progressistes veulent donc maintenir ou élever A (le sacro-saint dogme de la « croissance »), augmenter T (le « développement durable » à base de panneaux solaires aux terres rares, de moteurs au lithium et de pâté végétal usiné), et, bien entendu, P. Un collégien comprendrait que ces mesures ne feront qu’accroître I, mais nos élites sont bien trop sophistiquées pour employer des outils aussi primitifs que la logique, le bon sens ou les équations du premier degré.
Dans le cerveau de la Machine
Allons plus loin dans les tréfonds de la Machine (c’est à dire l’enchaînement logique visant à la perpétuation de la société industrielle) et plaçons-nous sur le plan de son inconscient collectif que l’on pourrait surnommer « l’esprit de la ruche ». Réduire ou supprimer la consommation de viande et entasser les humains dans des termitières permet d’optimiser le fonctionnement de la Machine en remplacant des modes d’alimentation et des habitats « peu efficaces » par d’autres plus performants et capables de soutenir une population plus nombreuse et énergivore. J’entrevois ici deux conséquences majeures sur le plan humain, la première permettant de parachever la seconde. Les voici :
-Première conséquence : comme toute monnaie ou système basé sur la reconnaissance sociale, le carbocentrisme aboutira à une inévitable hiérarchisation des comportements et des individus. Cela favorisera l’ostracisation des déviants et la promotion des bons élèves, et ceci, indépendamment de l’impact écologique réel de ces derniers. Exemple : le localiste omnivore qui consomme la viande et le lait des brebis de son village paissant dans les prés subira les pires outrages parce qu’affublé arbitrairement d’une empreinte carbone considérable, alors que le végétalien amateur de salade de quinoa (du Pérou) et d’avocat (du Mexique) arrosée de sauce soja (de Chine) recevra ses bons points de « consommateur responsable ». De la même manière, le père de famille cultivant son potager dans son petit pavillon de banlieue et ayant 2-3 poules pour sa consommation personnelle sera montré du doigt parce qu’il jouit d’un certain espace individuel (alors que d’autres se « privent pour la planète » en vivant en appartement) et qu’il conduit un véhicule polluant pour se rendre au travail. En revanche, l’individu complètement urbanisé (appartement, aucune production de nourriture) dépendant totalement pour sa survie de la chaîne logistique industrielle (circuits longs impliquant la production, fabrication et transport de tout ce qu’il consomme ou utilise) bénéficiera certainement d’un « pass carbone » enviable. Il ne possèdera rien, et sera heureux.
-Deuxième conséquence : en récompensant les dociles et punissant ceux qui se rebellent parce qu’ils ont l’audace de vivre indépendamment d’elle ou emploient des technologies surannées, la Machine améliore son efficacité et assure sa perpétuation. Quel est son but ultime ? Elle n’en a pas, en tout cas pas plus que n’importe quel phénomène physique ou biologique. Elle existe pour… exister et fonctionner tautologiquement, s’auto-corrigeant dans la mesure du possible afin de maximiser ses chances de survie à l’instar de n’importe quel système auto-propagateur. Les humains et la petite planète Terre broyés dans ses rouages d’acier ne sont d’une certaine manière que le marchepied vers cette course à l’anéantissement.
Le fait que vous lisiez ce texte et que vous lui trouviez (espérons-le) un certain intérêt prouve cependant que la Machine n’a pas encore totalement gagné, que la course nihiliste au progrès engrangée par la Révolution Industrielle ne sera peut-être qu’un accident de l’Histoire. Il existe une parcelle de liberté en vous, qu’elle soit d’essence divine si vous êtes croyant, ou biologique si vous ne l’êtes pas. Deuxième bonne nouvelle de la journée : la bataille n’est pas perdue parce qu’elle n’a pas encore été livrée. Vous avez le droit de vivre sur la terre de vos ancêtres, comme vous avez celui de connaître les nuits étoilées, le chant des oiseaux et la lumière du soleil. Face aux déterminismes écrasants et aux « sens de l’Histoire » made in China toujours prédits mais toujours contredits, il se trouve l’éternelle liberté humaine de dire non.